Etude Psychanalytique du Tableau

La grande forêt

de Max Ernst

Sciences Humaines Appliquées à l'Art

Grosser Wald

L'oéuvre de Max Ernst, un des plus grands peintres de ce siècle, peut être considérée comme étant opposée à celle de Picasso. Là où Picasso cherchait la représentation complète de la réalité, Max Ernst déformait celle-ci, la désarticulait et la découpait pour la représenter sous un angle insolite. D'abord dadaïste, son œuvre peut être qualifiée surtout de surréaliste. Dans le Surréalisme, les peintres utilisaient souvent le procédé des associations aléatoires, comme dans le jeu " Cadavres exquis ", et des associations libres, voisines des méthodes employées en psychanalyse. Leurs tableaux qui pourraient paraître, à première vue, incongrus, sont, en réalité, des révélateurs de certains aspects profondément enfouis dans le inconscient de ces peintres. Pour illustrer cette idée, j'ai choisi le tableau La grande forêt de Max Ernst.

Max Ernst peignit le tableau La grande forêt dans les années 1920. C'est un tableau peint à l'huile avec des couleurs sombres, où les tons bleu-vert, le noir et le gris prédominent. Dans l'avant-plan, une " forêt " érige des " arbres " en forme de poutres vers le ciel gris sombre. Le graffiti d'un petit oiseau est visible sur l'énorme tronc d'arbre coupé qui se trouve sur la droite. Partiellement caché par les poutres, la roue du soleil attire le regard à la fois par sa position centrale et par le contraste tonal formé avec les couleurs de la forêt et du ciel.

Max Ernst connaissait bien les travaux de Freud, bien qu'il garda un certain scepticisme quant au modèle du psychisme que Freud avait élaboré. Pour Freud, toutes les motivations humaines sont basées sur la sexualité Ainsi, l'énergie psychique provient du principe de la libido, tempéré (ou opposé) par le principe de la réalité, et les fantasmes puisent leur images dans la pulsion sexuelle. Les poutres rigides et dressées font alors penser à autant de phallus énormes, qui s'érigent vers -ou peut-être: contre -le principe féminin représenté par ce trou géant que forme la roue du soleil, cette sorte de vagin primordial à la fois lointain et énorme et par là hors d'atteinte. Selon la théorie freudienne, il pourrait s'agir de la figuration du complexe d'Œdipe, de l'amour du petit garçon pour sa mère interdite pour toujours. Le caractère monumental de cette œuvre nous emmène à dépasser le cadre individuel . Alors, ce n'est plus une mère dont est tombé amoureux un petit être humain, mais ce sont toutes les mères, c'est peut-être la déesse-mère des anciennes civilisations, en face de laquelle se trouve l'humanité toute entière dressée, mais insuffisante et donc impuissante pour toujours. Les couleurs sombres et l'ambiance crépusculaire du tableau accentuent l'aspect désespéré de cette forêt avec ces arbres figés et immobiles qui essayent d'atteindre le soleil. Cette entreprise sera, bien sûr, vouée à l'échec.


Mais, peut-être, les choses ne sont-elles pas aussi simples. Ce n'est qu'avec les années trente que Melanie Klein, clinicienne et psychothérapeute anglaise, a commencé à élaborer des concepts proprement kleiniens qui demeureront toutefois dans le cadre de la psychanalyse classique. Comme La grande forêt a été peinte avant, Max Ernst n'a pas pu construire son tableau d'après les théories de Melanie Klein, mais le choix des images de sa figuration a peut-être été réellement dicté par son inconscient selon le schéma kleinien. L'oeuvre de Melanie Klein doit une grande partie de son originalité au fait qu'elle a été la première à oser appliquer au traitement des enfants les mêmes principes qu'à celui des adultes, tout en substituant aux associations de l'adulte les aléas du jeu des enfants. Melanie Klein accordait un réalité intérieure au fantasme en tant que objet interne. Dans son expérience clinique, elle a découvert que ce qui est " imaginaire " est, en dernière analyse, relié au monde interne et imaginé à l'intérieur. Parallèlement, elle a souvent été considérée comme étant celle des analystes qui a appliqué le plus systématiquement la théorie freudienne des pulsions de vie et de mort. Chez elle, le conflit psychique n'est jamais un conflit du moi contre les pulsions, il est toujours un conflit de la pulsion de vie contre la pulsion de mort et c'est ce conflit qui est à l'origine des angoisses.


Schématiquement, on pourrait dire qu'à la naissance, il n'existe qu'une pulsion agissant selon le principe de Nirvâna, cet état de satisfaction absolue, où le nourrisson désire annihiler toute excitation. Mais l'être humain ne peut se tenir longtemps dans un tel état et l'excitation venant de l'extérieur ou de l'intérieur ne peut tarder à se produire. L'enfant éprouve alors un état de catastrophe que seul l'objet peut soulager. Le sein, vécu comme un bon objet, forme alors le tout premier lien à la réalité et le premier noyau du moi. A la longue, la répétition de l'expérience de tension suivie de la satisfaction amène l'établissement du principe de plaisir, où le nourrisson accepte graduellement le plaisir procuré par la satisfaction, même si elle n'est pas immédiate.


Melanie Klein écrivait à ce sujet:
" Mon travail psychanalytique m'a amenée à penser que le nouveau-né sent inconsciemment qu'il existe un objet d'une bonté sans pareille...et que cet objet est le sein de la mère. Le fait qu'au début de la vie postnatale il existe une connaissance inconsciente du sein, et que l'enfant ait l'expérience de sentiments à l'égard du sein, ne peut être conçu que comme un héritage phylogénétique "


En regardant le tableau de Max Ernst, j'ai été frappée par l'aspect de la roue du soleil, qui m'a fait penser à la roue de la vie bouddhiste et hindoue, d'où on ne peut sortir que par le nirvâna. Le nirvana, dans le bouddhisme, est plus précisément l'extinction des "trois passions" - le désir, la haine et l'erreur; c'est la libération de l'être du cycle infini des naissances et des renaissances quand celui-ci atteint la béatitude absolue (bodhi). La nature du nirvana a fait l'objet de nombreux débats parmi les érudits occidentaux, certains soutenant qu'il implique une annihilation totale et d'autres l'interprétant comme une félicité éternelle. Les deux opinions posent des problèmes car le nirvana n'est finalement pas descriptible et ne peut être connu directement. Cette conception est très proche de la conception kleinienne de la pulsion de mort du début de la vie du nourrisson . La pulsion de la vie serait alors représentée par la roue de la vie hindoue, le nirvâna étant l'équivalent de la pulsion de mort. Probablement, Max Ernst, très érudit, a délibérément choisi l'image de la roue de la vie. Mais la force de son tableau vient essentiellement du fait qu'il évoque en nous des fantasmes (des objets internes, selon Melanie Klein) provenant des tout premiers instants de notre vie. Le soleil, le principe de la vie, qui nous sauve de l'extinction par la pulsion de mort a pu évoquer pour Max Ernst le sein de sa mère, le premier objet bon, autour duquel la personnalité se construit.


Quant à la forêt, elle paraît mi organique, mi artificielle, comme si elle avait été reconstruit après " la catastrophe ". Quelle catastrophe ? Peut-être celle des premiers instants chaotiques dans une vie humaine où aucun apaisement ne vient.. Ce monde semble remplie d'objets étranges que nous ne reconnaissons pas avec notre esprit rationnel, mais avec une partie en nous que est inaccessible à la parole. Qui sait, peut-être y trouverions nous, en regardant de très près, des inscriptions mythiques incompréhensibles, des objets venues de la nuit des temps, des objets dépourvus de toute pensée rationnelle. Certains de ces arbres-poutres font d'ailleurs penser à des totems animistes.


Il reste un dernier point à élucider, si toutefois les fantasmes évoques dans ce tableau se prêtent à une quelconque élucidation. En effet, quel est donc le rôle joué par ce petit oiseau prisonnier dans cette forêt inquiétante ? Il semble si fragile dans cet univers surhumain. Probablement Max Ernst se serait défendu qu'on parle de son âme dans ce contexte. Alors, voulait-il représenter son " moi " , perdu dans un monde inquiétant ? En tout cas, cet oiseau est souvent représenté dans les tableaux de Ernst. Il est associé à la persona du peintre, en quelque sorte. Nous pouvons donc dire, qu'il présente une petite partie de Max Ernst.


Le tableau de Max Ernst a une force évocatrice très forte, qui défie notre compréhension adulte de la réalité. Probablement, Max Ernst a pensé aux théories de Freud en le peignant. Mais ceci n'explique pas tout. Inconsciemment, il a dû utiliser d'autres fantasmes et d'autres angoisses, qui pourraient s'expliquer plus facilement par une approche kleinienne par le caractère illogique et irrationnel exprimé, qui pourrait venir du temps D'AVANT LA PAROLE , quand tout était étrange dans un monde peuplé d'objet internes d'origine intérieure, mais aussi d'origine extérieure par introjection, où rien ne pouvait être expliqué rationnellement , car la pensée rationnelle est liée à la parole

 

 

 

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